Dopage, le point de vue de Franck NICOLLEAU, Les Echos, 25 janv. 2006
Où va le sportif d’élite ?
Zinedine Zidane, Tony Parker, Lance Armstrong… et, en leur temps, Carl Lewis, Michel Platini, Michael Jordan… ont indiscutablement marqué l’histoire du sport. Personne ne saurait oublier ou ignorer ces sportifs uniques en leur genre. Ne se présentent- ils pas comme de véritables héros, comme de véritables stars connues et reconnues de tous ?
Si le sport est le plus grand phénomène social du XXe siècle, si, en l’espace d’un siècle, le sport a réussi à se développer sur la planète entière en atteignant toutes les couches sociales sans exception, si en2004 le marché du sport pèse en France 33 milliards d’euros, c’est grâce aux sportifs eux-mêmes et à ceux qui ont brillé par la magie de leur excellence.
Corrélativement, en cinquante ans, le sportif d’élite s’est radicalement transformé. Son image n’a jamais été autant utilisée. Il est devenu un acteur incontournable de notre société. Une précision cependant. La masse des sportifs d’élite reste inconnue du grand public en raison du fait que les médias (télévision) ne s’intéressent que très peu au sport qu’ils pratiquent. L’évolution du sport de haut niveau est alors conduite par cette minorité de sportifs. Appartenir à la catégorie de ces sportifs d’élite médiatisés n’est pas une mince affaire.
Pourquoi ? Tout simplement parce que le sportif n’est pas assimilé à un personnage public comme un autre. Il est différent. Différent en ce qu’on le charge de porter des valeurs « positives » quasi-paradisiaques, idéalisées par l’olympisme. Il en résulte que le sportif qui accède à l’espace sportif médiatisé doit savoir, malgré sa jeunesse, qu’il entre par là même dans le domaine de la responsabilité publique.
Difficile à concevoir à un âge où d’autres se cherchent encore. Difficile à accepter quand d’autres personnages publics, tels les chanteurs, acteurs, peintres…ne se voient pas assignés de suivre la même responsabilité comportementale ou de langage. Le sportif d’élite semble donc être destiné à devenir un modèle de société. Il doit être irréprochable. Mais, en même temps, on le veut de plus en plus performant. Normal dans une société qui prône la performance dans tous les domaines, notamment professionnel, physique et sexuel. Normal dans une société où la télévision programme de plus en plus de spectaculaire, faisant du sportif d’élite l’homme de spectacle par excellence.
Or l’idée de performance est consubstantielle à l’idée de sport de haut niveau. Aucun sportif d’élite ne pourrait en effet se contenter d’un certain degré de performance sans rechercher − un tant soit peu − à améliorer son matériel, sa technique, son mental, son alimentation et, au final, sa performance, afin d’être encore plus fort, voire imbattable. Cette obsession quasi-naturelle de la performance implique nécessairement pour le sportif la transformation de son corps pour répondre à l’objectif sportif qui est de gagner.
En d’autres termes, le recours au dopage, comme à l’entraînement intensif, n’apparaît pas exogène à la compétition sportive, surtout lorsque celle-ci relève du plus haut niveau. Faut-il véritablement s’en étonner ? Sûrement pas. S’étonne-t-on du fait que certains de nos meilleurs écrivains étaient des alcooliques ou des drogués notoires ? S’étonne-t-on du fait que certains chanteurs, notamment de rock ou de reggae, soient ostensiblement sous l’emprise de la drogue au cours de leurs concerts ? S’étonne t- on de ces publicités pour des produits « boostants » destinés aux étudiants en phase d’examens, etc. ?Non, à aucun moment on ne s’en étonne.
Si la vision que l’on se fait du sportif est à cet égard différente de celle des autres personnages publics, c’est que l’on persiste à tromper l’opinion publique sur une valeur que le sport de haut niveau est censé véhiculer : la santé. Or le sport de haut niveau est tout simplement mauvais pour la santé, autant que certains produits dopants. Pourtant, le sportif d’élite est toujours pris en exemple. N’est-il pas étonnant de laisser des sportifs détruire leur santé, voire d’inciter les plus jeunes à faire de même, sous couvert d’intérêt général ?
Il ne s’agit pas de légitimer le recours au dopage, mais de le comprendre pour mieux l’appréhender, notamment lorsque les scientifiques annoncent l’avènement du dopage génétique. Face à cette situation, quelle sanction appliquera-t-on à ce type de dopage quand on sait que le gène frauduleux implanté dans le corps du sportif y restera de façon pérenne ? Y a-t-il un avenir pour le dopage « propre », c’est-à-dire celui qui n’est pas nuisible à la santé ? Le sportif d’élite est en fait en proie à la société dans laquelle il vit. On voit déjà, par exemple, apparaître des fonds d’investissement qui s’associent avec des clubs au financement du recrutement d’un joueur-vedette au rayonnement international pour ensuite toucher un pourcentage conséquent sur les bénéfices que sa revente vers un autre club occasionnera. Opacité parfaite, rentabilité maximale !
Concilier performance et humanisme semble être la voie à suivre. Peut-être, par analogie avec les pratiques du marché globalisé de la finance, en élaborant une nomenclature et des outils de contrôle, stables et uniques, de toutes les activités économiques liées au sport, tant au niveau national qu’international. Telles sont, parmi d’autres, les questions soulevées dans l’ouvrage dirigé par Franck NICOLLEAU « Où va le sportif d’élite ? Les risques du star-system » (éd. Dalloz).
L’ennui, c’est que toute définition de normes, de leur surveillance et de leur sanction, ne peut être efficace que si l’on se place au niveau international. Ce qui suppose une volonté commune des Etats et des fédérations. Ce n’est pas gagné d’avance. Mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire. Rendez- vous à Pékin !
FRANCK NICOLLEAU
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris